Quelles sont vos fonctions au sein du CHU et dâOstĂ©obanque ?
En ce qui concerne mon activitĂ©, je suis responsable du pĂŽle nutrition et mobilitĂ© au Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand qui englobe toutes les pathologies de lâappareil locomoteur et toutes les pathologies de la nutrition, de maniĂšre Ă prendre en charge, dans leur globalitĂ©, les problĂšmes de la mobilitĂ© qui sont Ă©galement liĂ©s avec les problĂšmes de nutrition. Vous savez quâun moteur, sans essence, ne marche pas trĂšs bien ! Pour les humains que nous sommes, la nutrition est un Ă©lĂ©ment extrĂȘmement important pour la mobilitĂ©. Jâai donc une vision un peu globale, avec le prisme dâune particularitĂ© : je suis chirurgien orthopĂ©diste. Je remplace les articulations et rĂ©pare les fractures. Câest aussi ce qui explique lâinvestissement que lâensemble du service orthopĂ©dique a, dans les banques de tissus, depuis des annĂ©es. Ce sont des banques qui permettent aux patients ayant besoin de greffes dâobtenir ces greffes, quâil sâagisse dâos, de mĂ©nisques ou de ligaments. Câest Ă partir de ce moment-lĂ , en ayant constatĂ© les difficultĂ©s Ă se procurer les greffes, que nous avons dĂ©veloppĂ©, pour la premiĂšre fois en France, quelque chose dâun petit peu unique : une association de chirurgiens, tous bĂ©nĂ©voles. Cette association permet de procurer Ă tout patient qui en a besoin, Ă partir, exclusivement, de la demande dâun chirurgien, des greffes pour remplacer un ligament, un mĂ©nisque ou un os. Lâorigine des besoins est multiple. On peut avoir besoin dâun os parce quâaprĂšs une fracture on a perdu une partie de cet os. On peut avoir besoin dâun os parce que, lors dâune infection, il a fallu retirer lâos. On peut avoir besoin dâun os, Ă©galement, parce quâon a un cancer et que lâon retire cette partie cancĂ©reuse. Donc nous avons, depuis 25 ans, dĂ©veloppĂ© cette association. DĂ©sormais, lâAuvergne est leader en France et fournit 80% de ces greffes au plan national.
Le don dâorganes est plutĂŽt bien connu, mais le don de tissus lâest-il autant ? Et chacun peut-il donner ?
Bien sĂ»r, chacun peut donner. Beaucoup de gens se posent la question de savoir « pourquoi les tissus » ? On sait trĂšs bien Ă quoi sert un rein, Ă quoi sert un cĆur, Ă quoi sert un foie. Tout ça semble Ă©vident. Mais, pour les tissus, cela ne parait pas aussi essentiel. Un rein, un cĆur, un foie, cela a une dimension vitale. Pourtant, il faut bien comprendre que ces greffes de tissus sont tout aussi fondamentales parce quâelles amĂšnent de la fonction et, sans fonction, il nây a pas de vie. Comme vous pouvez donner votre cĆur, vous pouvez donner vos tissus. Dans 30% des cas, lorsquâil y a un prĂ©lĂšvement possible, il y a une opposition de donner, non pas par vĂ©ritable refus mais parce que lâentourage ne sait pas ce que vous avez dit. Câest pour cela quâil faut passer un message extrĂȘmement fort ; il faut en parler Ă son entourage. Dites si vous ĂȘtes pour ou si vous ĂȘtes contre, mais parlez-en avec vos proches bien en amont. Lors dâun dĂ©cĂšs, la question sera posĂ©e de savoir quelles Ă©taient vos volontĂ©s et si vous souhaitiez faire ou non ce don. Souvent, la famille ne le sait pas. Alors, jâinsiste, vous pouvez ĂȘtre pour, ou contre, mais dites-le. Cela fera gagner du temps et pourra augmenter ce nombre de greffes nĂ©cessaires.
Vous Ă©voquez cette notion de bĂ©nĂ©volat impulsĂ© sur lâAuvergne, pour faire connaitre cette technique auprĂšs dâautres chirurgiens. Il y a une vraie dimension pĂ©dagogique dans cette dĂ©marche.
Il y a une dimension pĂ©dagogique, mais aussi une dimension de rĂ©seau. En France, maintenant, nous sommes un certain nombre de chirurgiens Ă ĂȘtre engagĂ©s dans ce rĂ©seau et Ă participer Ă cette rĂ©cupĂ©ration de greffes. Nous avons aussi mis en place quelque chose dâassez original, au travers dâune Ă©quipe mobile qui se dĂ©place en rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes. Sur le plan national, câest un rĂ©seau maillant tout le territoire national, composĂ© dâinfirmiĂšres coordinatrices, dâĂ©quipes de blocs, dans lequel toutes et tous sont fortement impliquĂ©s. Cela a eu comme effet vertueux, au fil des ans, dâavoir augmentĂ© significativement les capacitĂ©s de greffes et son corollaire : la prise en charge des patients.
On pourrait se dire que cette implication occupe largement vos semaines. Pourtant, vous avez Ă©galement acceptĂ© de vous engager au sein dâASM VITALITĂ. Pouvez-vous nous expliquer ce quâest ASM VitalitĂ© avant de nous expliquer votre fonction ?
ASM VitalitĂ© est une idĂ©e extrĂȘmement originale, portĂ©e par lâASM Omnisports, qui visait Ă dire : « quand on a un public de personnes sĂ©dentaires, il y a un intĂ©rĂȘt fort Ă faire une activitĂ© physique ». On sait trĂšs bien que lâactivitĂ© physique amĂ©liore lâĂ©tat de santĂ©, diminue les risques cardiovasculaires, le diabĂšte, et apporte une meilleure qualitĂ© de vie. Tout a dĂ©marrĂ© par une idĂ©e extrĂȘmement simple : Ă lâASM, il se pratique du sport, notamment du sport de haut niveau. On connait lâASM rugby, mais il y a toutes les autres spĂ©cialitĂ©s avec une majoritĂ© pratiquant au niveau national dans tous les sports. LâidĂ©e Ă©tait de dire que, au sein dâASM VitalitĂ©, on ne va pas forcĂ©ment parler de sport, mais, plutĂŽt, dâactivitĂ© physique. Il a Ă©tĂ© posĂ© le constat, en commençant par lâentreprise Michelin, que beaucoup de personnes ne pratiquaient pas dâactivitĂ© physique. LâidĂ©e est ici de donner la capacitĂ© Ă amener cette activitĂ© physique au plus prĂšs du lieu de travail car, de nos jours, les collaborateurs travaillent beaucoup, ont des dĂ©placements, une gestion familiale et, de ce fait, peu de temps pour pratiquer une activitĂ©. Des dizaines dâentreprises participent dĂ©sormais Ă ce programme, ⊠y compris au CHU đ. Les salariĂ©s, avant ou aprĂšs leur prise de poste, peuvent bĂ©nĂ©ficier dâun accompagnement, encadrĂ© par des Ă©ducateurs sportifs, diplĂŽmĂ©s et tout Ă fait compĂ©tents. LâactivitĂ© physique peut amĂ©liorer grandement la situation, pour tous. Un exemple trĂšs simple ? Il y a 20 ans, aux Ătats-Unis, on sâest aperçu que marcher 15 min par jour, par rapport au fait de ne pas marcher, avait un impact considĂ©rable, que ce soit physique ou psychologique. Cela prĂ©vient un certain nombre de pathologies qui peuvent altĂ©rer la qualitĂ© de vie.
ASM VitalitĂ©, ce nâest pas seulement avoir mis une salle de sport au sein du CHU. Quels sont lâaccompagnement et lâencadrement mis en place ?
Ce quâil faut savoir câest que câest un label. Lâentreprise met Ă disposition des locaux, en coordination avec lâĂ©quipe dâASM VitalitĂ©. Ce sont ensuite les coachs dâASM VitalitĂ© qui prennent en charge toute lâactivitĂ© physique. Câest quelque chose qui est trĂšs professionnel et parfaitement coordonnĂ©.
Il y a cette dimension autour du monde salarial, mais il ne faut pas oublier lâimpact liĂ© au vieillissement. Comment est-ce analysĂ© ?
Nous faisons passer des tests aux personnes qui participent au programme ASM VitalitĂ©. Il en dĂ©coule un constat trĂšs net de lâamĂ©lioration de la situation. Câest vrai pour les personnes jeunes, mais câest dâautant plus vrai pour les personnes plus ĂągĂ©es. Il faut savoir que lâon grandit jusquâĂ 21 ansâŠ.. et que lâon commence Ă vieillir Ă partir de 21 ans !! Les choses commencent Ă sâaltĂ©rer. Sâil nâest pas possible de lâĂ©viter, il est possible de freiner ce processus, entre autres en maintenant une activitĂ© physique. Il y a deux choses essentielles pour amĂ©liorer sa qualitĂ© de vie : continuer de se dĂ©placer et continuer de se nourrir correctement. Sâil vous manque lâun ou lâautre, alors, automatiquement, vous allez diminuer en qualitĂ© de vie et en performance.
Cette notion dâactivitĂ© est aussi liĂ©e Ă une notion que lâon voit beaucoup Ă©merger : la notion de lien social qui se tisse durant ces moments.
Oui, câest quelque chose qui est extrĂȘmement intĂ©ressant. On a toujours parlĂ© de la machine Ă cafĂ©. On sait aujourdâhui que, quand on supprime la machine Ă cafĂ©, on a peut-ĂȘtre plus de temps de travail, mais moins de performance. Nous sommes des individus connectĂ©s, grĂ©gaires. Lâimportant est de pouvoir, en plus de nos activitĂ©s professionnelles, gĂ©nĂ©rer du lien. Parfois, avoir du lien avec ceux avec qui lâon travaille est compliquĂ©. Il est donc important de proposer autre chose, quand mĂȘme proche du travail, mais qui sâinscrit dans le domaine du loisir et est librement choisi. Cette activitĂ©, en termes de lien auprĂšs des Ă©quipes, est extrĂȘmement importante.
Comment continuez-vous à faire progresser ASM Vitalité ?
Mon activitĂ© au sein dâASM VitalitĂ© est surtout de coordonner le conseil scientifique pour amĂ©liorer en permanence la situation et ĂȘtre en capacitĂ© dâĂ©valuer, dâinnover et dâavoir une rĂ©flexion plus scientifique sur les outils utilisĂ©s pour amĂ©liorer lâactivitĂ© sportive. On nous a demandĂ©, au niveau du CHU oĂč nous sommes en relation trĂšs Ă©troite avec lâASM Omnisport, de mettre en place un conseil scientifique pour Ă©valuer les parcours par lâintermĂ©diaire du pĂŽle nutrition et mobilitĂ©.
Quelles sont les grandes étapes qui vous ont marqué sur ces 15 derniÚres années ?
Ce qui mâa marquĂ© au dĂ©part, câest lâadhĂ©sion spontanĂ©e de 2000 collaborateurs de lâentreprise Michelin Ă ASM vitalitĂ©, Quand je suis arrivĂ© Ă ce poste, on mâa demandĂ© dâen analyser les raisons avec les professeurs Duclot et Boirie. Nous avons Ă©tĂ© impressionnĂ©s par le nombre de participants. Le fait que lâactivitĂ© physique soit bĂ©nĂ©fique nous paraissait une telle Ă©vidence que lâon ne comprenait pas pourquoi il fallait le redire. Mais lâessentiel ce nâest pas de dire ; câest de faire. Ă lâheure actuelle, ce sont plus de 80 % des personnes inscrites Ă ASM VitalitĂ© qui reviennent lâannĂ©e dâaprĂšs. Câest par lâaction que nous pourrons amĂ©liorer la situation.
Cette notion de partage, viscĂ©rale pour vous, on la retrouve aussi au sein du Conseil National Professionnel, section chirurgie orthopĂ©die, dont vous ĂȘtes PrĂ©sident.
Oui, tout Ă fait, bien que jâaie rĂ©cemment terminĂ© mes fonctions. On ne peut pas ne pas sâengager si on veut que les choses avancent. Nous avons de la chance, nous, les mĂ©decins, de faire un mĂ©tier merveilleux. Et, en tant quâuniversitaires, il nous est possible de pratiquer, dâenseigner, de faire Ă©voluer la profession par cette opportunitĂ© dâĂ©changer, de participer Ă la rĂ©flexion commune. Quand vous discutez et analysez des problĂ©matiques, et que vous avez des arguments pertinents, vous faites Ă©voluer les choses. Pour moi, ces deux ans ont Ă©tĂ© deux ans de discussions, de progressions et de concrĂ©tisations de dossiers.
Nous avons ici, sur lâAuvergne, des expertises fantastiques. Et vous avez, au sein du CHU de Clermont-Ferrand, accompagnĂ© de grands sportifs. Quelles sont les nouvelles techniques que vous avez pu dĂ©velopper, les Ă©volutions que vous avez pu remarquer ?
Oui, on sâaperçoit depuis une dizaine dâannĂ©es, entre autres grĂące Ă la spĂ©cificitĂ© prĂ©sente au CHU et cette proximitĂ© avec la banque de tissus, de lâĂ©volution du traitement des traumatismes multi ligamentaires. Pour ceux qui, par exemple, ont fait des chutes Ă ski, il y a ce type de traumatisme. Nous savons trĂšs bien rĂ©parer 1 ligament ; 2, cela commence Ă ĂȘtre plus compliquĂ© ; Ă partir de 3 ligaments rompus, il vaut mieux rĂ©aliser une greffe. Il existe une espĂšce de fantasme quant au sportif de haut niveau. Pourtant, tout un chacun, que ce soit un agriculteur ou une autre personne qui a le mĂȘme type de traumatisme, sera soignĂ© de la mĂȘme maniĂšre. Cette technique est mise en place pour tous les traumatismes et elle bĂ©nĂ©ficie Ă tous, comme câest le cas pour les entorses graves du genou qui, Ă 95%, touchent monsieur ou madame tout le monde. LâopĂ©ration va permettre dâavoir un genou stable, de retrouver une activitĂ© et câest une innovation majeure.
Quelles sont les collaborations internationales autour de ces Ă©volutions ?
Aujourdâhui, câest encore un microcosme qui sâintĂ©resse aux greffes en Europe, essentiellement des orthopĂ©distes. OstĂ©obanque a des relations Ă©troites avec Barcelone, modĂšle en termes de banques de tissus en Europe. Mon collĂšgue, le Professeur Erivan, y a passĂ© 6 mois. Le Docteur Villatte, pour sa part, a travaillĂ© sur ce sujet en Angleterre, plus spĂ©cifiquement au niveau de lâĂ©paule. Tout ceci est sous-tendu par la recherche, dans une Ă©quipe labellisĂ©e dirigĂ©e par le Professeur StĂ©phane Descamps qui est chirurgien orthopĂ©diste dans notre service et le Professeur Jean-Marie Nedellec, enseignant chercheur SIGMA. Cette Ă©quipe de recherche, adossĂ©e au CNRS, au sein de lâuniversitĂ©, est centrĂ©e sur lâĂ©volution des allogreffes, leur prĂ©paration, leur traitement, afin quâelles soient plus efficientes et mieux tolĂ©rĂ©es. Il y a tout cet environnement technique et de recherche afin dâaller toujours vers lâavant, de progresser, de fournir les meilleures greffes pour traiter les patients dans les meilleures conditions.
Est-ce quâil y a des Ă©changes entre pays ?
Bien sĂ»r, il y a dĂ©jĂ des Ă©changes tout autant dâordre intellectuel que des projets de recherche. Par exemple, quant Ă lâutilisation dâantibiotiques avec les greffes lors dâopĂ©ration de patients ayant des infections. Il y a dâautant plus dâĂ©changes, que, comme pour les organes, il peut y avoir besoin de tel ou tel type de greffe, non disponible. Il nous arrive de mettre Ă disposition des greffes suite Ă des demandes provenant de Belgique, dâEspagne, ou que nous recevions, de ces mĂȘmes pays, les greffons dont nous avons besoin.
Quâest-ce qui continue Ă vous porter, Professeur Boisgard ?
On ne peut pas se lasser de faire progresser les choses, les techniques chirurgicales, la connaissance, les organisations. On ne peut pas se lasser, car il y a toujours quelque chose Ă faire, toujours une nouvelle dĂ©couverte, toujours un nouvel objectif, lâenvie dâaller plus loin, de faire mieux, de faire diffĂ©remment. Câest passionnant.