Stéphane Boisgard, est Professeur au CHU de Clermont-Ferrand, chef du service orthopédie et Directeur médical et co-fondateur de l’Ostéobanque. Le CHU a pour rôle de former les différents professionnels agissant au sein de la structure. La recherche de solutions pour améliorer le quotidien des patients est primordiale. De plus, le CHU prend en charge une activité de recours, vers lequel les cas spécifiques et très complexes sont adressés. L’équipe d’orthopédie traumatologie du CHU, œuvre au service tant de la population que de leurs collègues en cas de difficulté pour apporter une expertise.
Un constat
Il y a une vingtaine d’années, nous avons fait le constat de véritables lacunes en matière de nos capacités de greffes de l’appareil locomoteur. Ces tissus concernent l’ensemble des structures permettant de se déplacer : os, tendons, ménisques… Lorsque ces tissus manquent, à la suite d’une infection, d’un traumatisme, ou d’une chirurgie de résection pour tumeur ; s’ils ne peuvent pas être remplacés, ils entraînent un handicap. Cette difficulté limite les capacités, pour les activités de la vie courante, professionnelle ou de loisir. Ils sont moins prioritaires dans l’esprit de tout à chacun. Alors que les greffes d’organes dont tout le monde connaît l’intérêt le plus souvent vital. Mais si les tissus ne sauvent pas la vie, ils donnent de la qualité à la vie
Quelles sont les solutions lorsque ces tissus manquent ? Précédemment, la pratique consistait à remplacer un os par du métal, matériau moins efficient que l’os. Concernant les ligaments et ménisques, les possibilités étaient quasiment inexistantes. Ceux qui avaient le malheur de rompre un ligament demeuraient avec des articulations instables, voire sans ménisque. Cela entrainait un fort risque d’arthrose dans les 10 années suivantes. Les professionnels n’étaient pas en mesure d’apporter les soins appropriés aux patients. Comme la vie n’était pas en danger, ils pouvaient rester avec des handicaps très importants, pouvant même les empêcher de travailler, voire de mener une vie normale.
La greffe de tissus : une activité limitée
Ces greffes étaient donc indispensables et non plus limité au traitement des sportifs de haut niveau. « On en parle assez souvent car ce sont des éléments phares ; quand on fournit des ligaments ou greffes osseuses à des sportifs de très haut niveau, par exemple. Ils reprennent la compétition 1 an, voire 1 an et demi après, on perçoit tous l’intérêt représenté. Mais il ne faut pas non plus minimiser l’impact dans la vie de tout un chacun. »
Ces techniques qui donnent les meilleures solutions, nécessitent d’avoir à disposition des greffes. Pour répondre à cette demande il faut avoir des banques de tissus qui vont récupérer les tissus les sécuriser et les distribuer aux chirurgiens qui en ont besoin pour leurs patients.
« Nous avons eu l’idée de créer ce qui n’existait pas, une banque de tissus gérée par des chirurgiens orthopédiques, ayant pour objectif de recevoir ces greffes en nombre et en qualité, pour ensuite desservir les établissements qui en ont besoin. »
La genèse de l’Ostéobanque
En 1998, la réglementation a imposé d’avoir des structures agréées comme banque de tissus, pour réaliser cette activité de greffe. « Nous avons eu l’idée de créer ce qui n’existait pas. Une banque de tissus gérée par des chirurgiens orthopédiques. Nous avons pour objectif de recevoir ces greffes en nombre et en qualité, pour desservir les établissements qui en ont besoin. » Le Professeur Boisgard a donc co-fondé, avec des chirurgiens du privé et du public de la région, ce qui fut la première banque de tissus agréée en France. « L’ostéobanque est une structure à but non lucratif. Son but n’est pas de faire des bénéfices. Nous réinvestissons tout dans la recherche et l’amélioration de nos techniques de prélèvement et de greffe. C’est un point majeur qu’il convient de mettre en lumière » insiste Stéphane Boisgard.
La mise en place opérationnelle et pédagogique
Le côté mise en place opérationnelle de la banque de tissus doit s’accompagner, d’un accompagnement pédagogique. Celui-ci présente les aspects techniques et réglementaires très spécifiques. Toute l’équipe des chirurgiens de l’osteobanque est très impliquée dans l’enseignement vis-à-vis de leurs jeunes collègues. Ils le sont aussi vis-à-vis de leurs collègues en poste. Il s’agit de formation, mais aussi, voire, surtout, d’un accompagnement auprès des chirurgiens. Quand ils ont besoin de tissus, ils comprennent dès lors l’importance de se former pour en récupérer en amont.
En ce sens, l’équipe du Professeur Boisgard n’hésite pas à accompagner et transmettre ses savoir-faire. Mais aussi ses ressources dans toute la France. Il forme tant sur les prélèvements que sur les méthodes opératoires. En effet, ce processus chirurgical est relativement complexe. Il dure environ 4 heures, et nécessite une grande maîtrise d’exécution. « Nous prélevons les os, tendons, ménisques, en fonction des volontés du patient ou des références qu’il avait données à sa famille ; et ensuite, surtout, nous faisons une reconstruction. Il faut insister sur le fait que, même si nous prélevons des tissus, l’aspect physique de la personne reste identique. Le processus est établi dans le respect le plus total de chacun ».
Le processus de la greffe
Il explique ensuite le long et méticuleux processus réalisé. « C’est une longue procédure car, première chose, elle se fait, d’abord, dans le respect de la personne. Puis, techniquement, nous préparons les greffes, nous les emballons pour qu’elles partent vers la banque de tissus. Là, il y a un temps relativement long, entre 15 jours à 1 mois, pendant lequel nous vérifions le respect de toutes les procédures. Nous agrégeons un certain nombre de résultats puisque nous faisons des prélèvements bactériologiques pour nous assurer que les tissus ne présentent aucune infection. Réimplanter un tissu infecté à un patient représenterait évidemment un drame. Ce délai passé, l’un des 4 responsables de l’association valide le tissu.
Après validation, il peut être envoyé dans l’établissement demandeur. Au préalable, le chirurgien aura établi une ordonnance pour un cas déterminé qui le mobilise. Nous allons vérifier avec lui le type de greffe dont il a besoin, ce qui est parfois techniquement complexe. Mais l’Ostéobanque peut aussi, parfois, manquer de tel ou tel type de greffe. Il faudra alors la remplacer par un autre. Enfin, nous envoyons la greffe 14 heures avant l’opération dans l’établissement, de manière à être décongelée, puis utilisée lors de l’acte chirurgical ».
Une action nationale
Stéphane Boisgard rappelle que 40% des récupérations de tissus en France sont issus de cette banque clermontoise, et il en est de même quant à la distribution. Il faut tout de même savoir que tous les besoins ne sont encore pas totalement pris en compte. En réalité, il faudrait quatre fois plus de prélèvements. Mais les chirurgiens engagés bénévolement au sein de l’Ostéobanque ont réussi à déployer une politique régionale : « Clermont-Ferrand étant le centre de toute la région AURA pour cette activité, nous avons une équipe qui se déplace sur tout le territoire. Nous avons également une activité nationale pour fournir nos collègues de Lille, de Marseille,…. Et nous commençons aussi à collecter des tissus à Rennes, bientôt à Toulouse, grâce aux partenariats que nous avons établis ».
Déficit d’information autour de la greffe
Cependant, le Professeur Boisgard insiste sur le fait qu’il persiste un réel déficit de l’information quant à cette pratique de greffe de l’appareil locomoteur. « Donner un cœur, un rein, un foie est vital ; mais donner un os, un tendon, un ménisque, est aussi très important à la fonction de vie ». Les personnes à qui le personnel de santé s’adressent lors du décès d’un de leur proche, ont connaissance des greffes d’organes vitaux. Mais l‘incompréhension est prégnante quand le sujet des greffes de tissus est abordé. Or, en donnant a priori une réponse favorable à ces prélèvements, il devient possible de donner de la vie à la fonction. On permet à de futurs receveurs de revivre normalement. Aujourd’hui, la règlementation exige que soit remplie une déclaration pour préciser son opposition aux prélèvements.
Lors d’un décès, les professionnels de santé vont donc vérifier le registre national des refus. Du coup, sans inscription sur ce registre, tout individu est présumé donneur. « Mais quand on les interroge, la majorité des membres de l’entourage du défunt disent, ‘’a priori il n’était pas contre’’. Dans ce cas, nous sommes contraintes d’aller plus loin pour les amener à valider ou non si la personne aurait accepté de donner son cœur, son rein, etc. Quand on arrive aux tissus, c’est la fin de la liste, et c’est forcément assez agressif. Pour la famille du patient, qui est déjà dans le deuil, prendre la décision à sa place et entendre cette énumération peut être très déstabilisant. C’est toujours très compliqué, même si nos équipes sont toujours dans la bienveillance, l’écoute et l’accompagnement. Si nous étions tous sensibilisés à l’importance, vitale, de ce don, chacun en comprendrait plus facilement la finalité et l’importance de ce type de don, ce qui lèverait bien des réticences ».
Des cas patient marquants
Les exemples sont multiples et concrets telle l’histoire d’un jeune garçon fils d’agriculteur qui : « en aidant son père à travailler, s’est fait une fracture du fémur. Fracture pour laquelle il a eu de nombreuses complications, y compris une infection qui a nécessité de retirer 20 centimètres de son fémur. Et ces 20 centimètres, si vous ne les avez plus, il est compliqué de revivre normalement ensuite !! » évoque Stéphane Boisgard. « D’autant plus avec des problèmes infectieux. Donc, il a subi un certain nombre d’interventions. La dernière a consisté à réaliser une greffe de fémur de 20 centimètres. Ce jeune remarchait 3 mois après, n’avait plus d’infection, plus de douleurs et a pu reprendre ses études ».
Dans de nombreux cas comme celui-ci, les patients de l’Ostéobanque ont eu la chance de retrouver leurs facultés motrices. Cela porte aussi témoignage des besoins exponentiels à l’heure actuelle dans ce domaine. Par exemple pour les ménisques, là où 400 greffes par an seraient nécessaires, seules 10% peuvent être réalisées.
Par ailleurs, à ce jour, des structures ayant une activité de santé privée et commerciale sont assez répandues et commencent à s’intéresser aux greffes.
« Je pense qu’en ce qui concerne le tissu humain, tout comme c’est le cas pour le génome, c’est quelque chose qui nous appartient à tous. Ethiquement, à mes yeux, il me semble indispensable que ces structures soient et restent à but non lucratif. Le statut associatif me parait être le plus pertinent ».
Un message fort
Stéphane Boisgard, par son témoignage, tenait à « sensibiliser le public pour comprendre la grande valeur de ce type de prélèvement. Ils sont réalisés en période de deuil pour le sproches, ce qui les fragilisent tout particulièrement. Il est fondamental de donner toutes ces informations pour, qu’effectivement, on puisse avoir un nombre de greffes suffisant dans les années à venir. Nous pourrons ainsi traiter tous les patients qui en ont besoin. »
C’est aussi pour cela que le chirurgien est très impliqué dans les instances nationales telles que celles de la SOFCOT, qu’il préside. Cette organisation représente les orthopédistes, gère leur activité au sens de la cohésion professionnelle. Mais aussi ses rapports avec les pouvoirs publiques et organise également toute l’activité scientifique. « Nous pouvons être fiers que l’Auvergne prenne régulièrement des responsabilités nationales dans de nombreuses spécialités du CHU. Nous sommes une petite région en termes de nombre, mais une grande région en termes de rigueur et de qualité ».